Bataille d'Anoual

Bataille d'Anoual
Description de cette image, également commentée ci-après
Terrain jonché de cadavres de soldats espagnols près du fort de Mont-Aroui (1922)
Informations générales
Date -
Lieu Anoual
Issue Victoire rifaine
Belligérants
Harkas rifaines Espagne
Commandants
Abdelkrim al-Khattabi Manuel Sylvestre
Jésus Villar
Felipe Navarro
Forces en présence
3 000 combattants irréguliers[1],[2] 25 000 hommes[3],[4]
24 pièces d'artillerie
Pertes
~ 800 morts et blessés[5] ~ 15 000 morts
~ 1500 prisonniers[6] ou 3000 morts
5000 prisonniers[7]

Guerre du Rif

Batailles

Coordonnées 35° 07′ 12″ nord, 3° 35′ 00″ ouest
Géolocalisation sur la carte : Maroc
(Voir situation sur carte : Maroc)
Bataille d'Anoual

La bataille d’Anoual, connue comme le désastre d’Anoual dans l’historiographie espagnole, est une grave défaite subie entre le et le par l’armée espagnole lors de son offensive dans le Rif et, a contrario, une importante victoire pour les milices armées (harkas) rifaines commandées par AbdelKrim.

La bataille, ou série de batailles, est à situer dans le cadre général de la guerre du Rif, par laquelle l’Espagne s'appliqua à respecter les stipulations du traité franco-espagnol de 1912 instituant les protectorats français et espagnol et faisant obligation à l'Espagne d'occuper sa zone d’influence afin d'y mettre en œuvre les réformes nécessaires, sous l’égide du sultan marocain. En 1920, la partie centrale montagneuse du protectorat échappait encore à l’emprise espagnole, et la ligne de front, correspondant alors grosso modo au fleuve Kert, n’avait guère évolué depuis 1913.

Cette pause fut interrompue en , lorsque le général Silvestre, nouveau commandant général de Melilla, sous la supervision du haut-commissaire Berenguer (dépositaire de l’autorité politique et militaire suprême du protectorat), entreprit de conquérir, avec son impétuosité et sa célérité coutumières, les kabilas (tribus rifaines) à l’ouest du Kert. Le succès et l'apparente facilité de cette avancée l’enhardit à pousser plus avant et à créer début un poste militaire avancé sur Dhar Ubarran, hauteur stratégique au-delà du fleuve Amekran, d’où il se promettait de conquérir la proche kabila de Beni Ouriaghel, fief d'Abdelkrim, situé sur la baie d’Al Hoceïma. Cette opération téméraire, car étirant à l’excès les lignes de communication, incita Abdelkrim, qui s’était entre-temps érigé en chef charismatique, tant politique que militaire, du Rif, à mobiliser pour une contre-attaque sa harka nouvellement constituée, disciplinée et bien entraînée, avec en point de mire la constellation de fortins espagnols sur la nouvelle ligne de front, dont l’emblématique camp d’Ighriben, qui fut assiégé puis pris d’assaut en par les Rifains. Le siège mis ensuite devant Anoual, camp principal du dispositif espagnol, où le gros des effectifs de l’armée espagnole d’Afrique se trouvait stationné, entraîna son évacuation à l’aube du . Cette retraite, censée se dérouler en bon ordre, se mua cependant en franche débandade lorsque la colonne de repli eut à franchir sous le feu de la harka un tortueux défilé, où la troupe, pris d’une panique contagieuse, se lança dans une course effrénée en abandonnant ses armes et bagages. Pendant que les fortins récemment établis, trop dispersés et sous-équipés, tombaient en cascade sous les attaques des Rifains, généralement avec massacre de leur garnison, ce qui restait de la colonne, désormais commandée par le général Navarro après le suicide de Silvestre, se replia de position en position sur la ligne Anoual Melilla, jusqu’à se fixer finalement, en attendant des secours, dans le fort de Mont-Aroui, où se déroula l’épisode le plus emblématique et le plus sanglant de la débâcle d’Anoual. Après avoir soutenu un siège éprouvant, marqué en particulier par le manque d’eau potable, et compte tenu de la réticence de Berenguer à envoyer une colonne de secours, Mont-Aroui finit par capituler le , en échange de la promesse de vie sauve. Cet engagement ne fut pas respecté par la harka locale, non encore sous l’autorité d'Abdelkrim, et les militaires espagnols, à l’exception d’un petit groupe de hauts gradés faits prisonniers (en vue de rançon) et de quelques rares rescapés, furent tous tués dans des conditions atroces. La position de Sélouane (qui comprenait un aérodrome) subit le même sort que Mont-Aroui, tandis que la garnison de Nador put après sa capitulation regagner Melilla.

La bataille d’Anoual occasionna la mort d’environ 11 500 membres de l’armée espagnole (se décomposant en 8000 métropolitains et 2500 autochtones des différentes unités supplétives), dont plus de la moitié après s’être rendus ; les données font défaut sur les pertes dans les troupes rifaines.

La place de Melilla, qui avait été largement dégarnie de ses contingents pour renforcer Anoual, se sentit menacée à son tour, d’autant que nombre de kabilas dites amies, soumises de longue date et proches de Melilla, mais dont l’allégeance à l’Espagne se révéla être de pur opportunisme, tendaient à rallier la rébellion dès que le rapport de force tournait en défaveur de la puissance tutélaire. L’arrivée à Melilla de considérables renforts en provenance de Ceuta (Regulares et Légion) et de la métropole permit à l’Espagne d'engager à partir de une contre-offensive efficace.

Tandis qu’Abdelkrim, devenu héros mythique, proclamait la République du Rif, la défaite humiliante d’Anoual conduisit en Espagne à une redéfinition de la politique espagnole en Afrique et provoqua une crise politique, qui sapa la monarchie libérale d’Alphonse XIII avec pour conséquence à terme le coup d'État et la mise en place en 1923 de la dictature de Primo de Rivera. Auparavant, le général Juan Picasso avait été désigné pour enquêter sur les événements afin d’en déterminer les causes et de cerner la responsabilité des hauts commandants. Outre les causes militaires techniques mises en évidence dans le rapport d’enquête Picasso présenté en (nommément : trop grande extension des lignes, imprudente percée sur Dhar Ubarran, défense défaillante du territoire conquis au moyen de positions éparses mal approvisionnées et mal organisées, Melilla laissée dégarnie par l’envoi de toutes les troupes disponibles à Anoual, etc.), le débat parlementaire qui s’ensuivit s’évertua à identifier des causes plus larges, politiques, sociales et morales. La recommandation de la commission Picasso de lancer une procédure contre Berenguer, identifié comme le principal responsable du désastre (avec Silvestre, décédé, et 39 autres militaires), resta lettre morte par l’instabilité politique et l’amnistie accordée par le roi.

  1. D. S. Woolman 1968, p. 97.
  2. P. La Porte 1997, p. 199
  3. J. Pando Despierto (1999), p. 64-65.
  4. J. Albi de la Cuesta 2014, p. 295.
  5. (de) Detlef Wieneck-Janz, Annette Grunwald, Andreas Schmid, Knut Görich, Hans-Michael Körner, Reinhold Leinfelder, Winfried Schulze, Rainer Vollkommer, Andreas Wirsching et Wolfgang Pekowski, Die große Chronik Weltgeschichte: Der Erste Weltkrieg und seine Folgen (1914–1932), vol. 15, Munich, Wissen Media Verlag GmbH, coll. « Große Chronik-Weltgeschichte », (ISBN 9783577090759, lire en ligne), « 21. Juli 1921: Marokko - Kabylen gegen Spanien », p. 203.
  6. François Garijo, La Légion et les Spahis dans la conquête du Maroc : 1880-1934 : la guerre du Rif, 1921-1926, La Plume du temps, coll. « Histoire », , 318 p. (ISBN 978-2913788428), p. 115.
  7. Benjamin Stora et Akram Ellyas, Les 100 portes du Maghreb : l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, trois voies singulières pour allier islam et modernité, Ivry-sur-Seine, Éditions de l'Atelier, , 304 p. (ISBN 978-2708250239, lire en ligne).