Duende

Duendecitos (en français « Petits lutins »[1]), aquatinte, ou eau-forte de Goya (1799).
Belén Maya, dans sa « robe de gitane » couleur de muleta... (Photo de Gilles Larrain, Mai 2005). La danseuse de flamenco, rayonnant de duende, illustre bien le sens second du terme comme inspiration profonde et mystérieuse exprimant l'"âme" du flamenco...
Taureau avec une pique plantée dans le dos et fonçant tête baissée vers une muleta de couleur rouge, tenue de trois-quart arrière par le torero
...comme certains gestes créatifs du torero expriment parfois la quintessence de l'art tauromachique, tout au moins aux yeux des afficionados de la corrida (ici : faena, passe de muleta nommée « naturelle », effectuée aux arènes de Las Ventas de Madrid). Dans ces deux cas le duende désigne comme un au-delà de la maîtrise parfaite du geste technique.

La notion de duende trouve sa source dans la culture populaire hispanique (d’abord dans les anciennes traditions relevant de la superstition domestique), comme un équivalent local et particulier de la figure mythique du lutin. Plus récemment et plus précisément, le duende appartient aujourd'hui, dans un sens différent mais dérivé de cette première acception, à l'univers du flamenco dans ses trois composantes de chant (cante), danse (baile) et musique (toque), puis de la tauromachie qui le lui a emprunté.

Le duende fait partie de ces concepts complexes, résumés dans un simple mot dont le signifié et la symbolique sont tellement riches ou particuliers dans leur langue d'origine, et dont la dimension littéraire ou philosophique est tellement surdéterminée, qu'ils ne rencontrent aucun équivalent satisfaisant dans les autres langues ; ils sont donc classés parmi les « intraduisibles » et sont généralement importés tels quels dans les autres langues, selon le procédé de l'emprunt linguistique, version pérenne de l'emprunt lexical ; ainsi par exemple le « blues », la « saudade » ou le « Dasein »[2], ou encore en musique le « swing », le « groove », ou le « flow », ces styles, pratiques musicales (rythmiques) et poétiques, typiques du jazz et du rap.

C'est aussi le cas pour le « duende », tout au moins dans les langues française et anglaise. On ne peut donc que tenter d'en approcher, puis d'en explorer les nombreuses strates de sens. Mais, pour simplifier, on peut néanmoins dire qu'aujourd'hui le duende sert à désigner ces moments de grâce où l'artiste de flamenco, ou bien le torero, prennent tous les risques pour transcender les limites de leur art, surmultiplier leur créativité, entrer dans un état second à la rencontre d'une dimension supérieure mystérieuse, et atteindre ainsi un niveau d'expression proprement inouï, lequel procède d'une sorte de transe d'envoûtement et provoque le même enchantement chez le spectateur.

Federico García Lorca, le grand poète espagnol martyr de la première moitié du XXe siècle, a beaucoup investi ce concept en tant qu'il exprime particulièrement bien selon lui le « génie » du peuple andalou et l'âme espagnole.

  1. Goya graveur : exposition, Paris, Petit Palais, 13 mars-8 juin 2008, Paris, Paris Musées, Petit Palais, , 350 p. (ISBN 978-2-7596-0037-3), p. 210.
  2. Bernard Sesé, Vocabulaire européen des philosophies : dictionnaire des intraduisibles, dirigé par Barbara Cassin, coédité par le Seuil et Le Robert, , 1532 p. (ISBN 978-2020307307 et 2020307308, présentation en ligne), entrée « Duende ». Voir aussi : François Trémolières, « Vocabulaire européen des philosophies (dir. B. Cassin) », sur Encyclopædia Universalis (consulté le ).