Hagiographie

Manuscrit hagiographique byzantin.

L’hagiographie (du grec ancien ἅγιος / hágios, « saint », et γράφω / gráphô, « écrire ») est l'écriture de la vie et/ou de l'œuvre des saints. Pour un texte particulier, on ne parle que rarement d'« une hagiographie » (sauf dans le sens figuré), mais plutôt d'un texte hagiographique ou tout simplement d'une vie de saint. Le texte hagiographique étant destiné à être lu, soit lors de la prière chrétienne de la nuit (office des lectures) soit en public dans le cadre de la prédication, on lui donne souvent le nom de « légende » (du latin legenda, « ce qui doit être lu », terme utilisé dans son acception la plus littérale et non dans son sens péjoratif de récit dépourvu de tout enracinement dans l'histoire événementielle). Le glissement de sens opéré durant le XVIe siècle au terme légende qui désigne alors un « récit à caractère merveilleux où les faits historiques sont transformés par l'imagination populaire ou par l'invention poétique »[1], résulte de la nécessité devant laquelle se sont trouvés beaucoup d'hagiographes médiévaux de fournir la matière destinée à alimenter le culte de saints personnages dont ils ignoraient à peu près tout.

Un texte hagiographique recouvre plusieurs genres littéraires parmi lesquels on compte en premier lieu la Vita, c'est-à-dire le récit biographique de la vie du saint. Une fresque à épisode est également une hagiographie, de même qu'une simple notice résumant la vie du bienheureux. Ces genres hésitent entre l'apologétique, l'édification (exemplarité de la vie du saint), la liturgie, si bien qu'il est vain d'envisager les récits hagiographiques sous le jour d'une biographie et de l'authenticité des faits.

L'écrivain, l'hagiographe n'a pas d'abord une démarche d'historien, surtout lorsque le genre hagiographique s'est déployé. Aussi les hagiographies anciennes sont parsemées de passages merveilleux à l'historicité douteuse. De plus, des typologies de saints existaient au Moyen Âge, ce qui a conduit les hagiographes à se conformer à ces modèles et à faire de nombreux emprunts à des récits antérieurs. L'hagiographie est ainsi un récit fortement stéréotypé[2] dont la fonction pastorale est de servir à l'instruction et l'édification religieuse, mais qui peut avoir aussi une fonction normative, politique et de propagande religieuse[3]. En effet, ces récits sont le fait des autorités ecclésiastiques commanditaires des hagiographies, entrant dans leur programme de persuasion des croyants comme des incroyants, mais aussi des métiers qui se dotent de patrons, des paroissiens qui se trouvent un saint protecteur, des communautés monastiques ou cathédrales en quête de légitimation de revendications de biens, de privilèges : ces micro sociétés s'organisent autour de la compréhension commune de ces textes (auteurs, lecteurs, copistes) mais l'absence de document historique indépendant à la littérature hagiographique ne peut pas toujours confirmer l'existence du saint[4].

Les historiens ont longtemps jugé ces textes hagiographiques à l'aune de critères réducteurs et rétrospectifs pour discuter sur l'historicité des saints[5], alors que les études des historiens actuels portent plus sur les œuvres qu'ont suscité ces personnages littéraires et non sur le saint lui-même, dont la réalité historique reste inaccessible et qui demeure ce que Guy Philippart appelle un « saint de papier »[6]. Ils mettent ainsi en évidence la qualité des textes hagiographiques qui, tout en étant marqués par la culture savante, sont une source de renseignements précieux sur l'histoire des mentalités, constituant « un extraordinaire gisement de culture populaire[7] ».

Au sens plus large, l'hagiographie désigne l'étude de la littérature hagiographique et du culte des saints. Cette approche scientifique est parfois appelée « hagiologie »[8], bien que la hagiologie englobe une notion plus large (l'étude des saints et/ou de la vénération des saints en générale).

D'une manière plus polémique, on parle aussi d'hagiographie pour désigner un écrit (une biographie, l'analyse d'un système philosophique, etc.) trop favorable à son objet, c'est-à-dire manquant de recul et/ou ne laissant guère de place à la critique[9].

  1. Définition du Larousse.
  2. L'écriture des hagiographies médiévales « est soumise à de multiples tensions dans son contenu comme dans son style qui l'entraînent à la fois vers la répétition jusqu'à l'usure de certains motifs hagiographiques et chevilles du récit, mais aussi vers l'innovation et la reformulation tant spirituelles que stylistiques ». Cf Brenda Dunn-Lardeau, Le saint fictif. L'hagiographie médiévale dans la littérature contemporaine, Champion, , p. 14
  3. Marcel Grandière et Michel Molin, Le stéréotype, outil de régulations sociales, Presses universitaires de Rennes, , p. 43
  4. Michel de Certeau, « Une variante : l'édification hagiographique », dans L'Écriture de l'histoire, Bordas, , p. 318
  5. Monique Goullet, Écriture et réécriture hagiographiques, Brepols, , p. 11.
  6. Guy Philippart, François De Vriendt, and Michel Trigalet, « Problèmes et premiers résultats d’une histoire générale de la littérature hagiographique », dans John Carey, Máire Herbert, Pádraig Ó Riain, Studies in Irish hagiography: saints and scholars, Dublin, Four Courts Press, , p. 337–338
  7. Hervé Martin, Mentalités médiévales. XIe – XVe siècle, Presses universitaires de France, , p. 193.
  8. Anne Wagner, Les saints et l'histoire : sources hagiographiques du haut Moyen Âge, Éditions Bréal, , p. 14.
  9. François Noudelman parle en ce sens d'hagiographie pour désigner la façon dont Simone de Beauvoir parle de Sartre. Cf. http://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2002-1-page-15.htm